LESPINASSE, la cité disparue
Qu’elle u’elle était belle cette ville de Lespinasse, entourée par une épaisse muraille et de profonds fossés remplis d’eau.
On y venait de très loin pour assister à ses somptueuses foires où les marchands de bestiaux côtoyaient les camelots, les marchands d’étoffes, les cracheurs de feu et les joyeux ménestrels…
Elle était nichée au creux d’une immense forêt de grands chênes séculaires, abritant bien des mystères, mais surtout des bandes de pillards qui écumaient la région.
Car la guerre était dans le pays, mais bien peu de ces bandes d’hommes indisciplinés, que l’on nommait « écorcheurs », n’osaient se présenter aux portes de Lespinasse, tellement cette ville paraissait être bien défendue.
Aussi se vengeaient-ils sur les villages alentours sans défense, de Changy, Saint-Germain mais aussi de Noailly, où ils se plaisaient à persécuter les moines du petit prieuré…
Pauvres moines de Noailly, comme si la guerre ne suffisait pas, ils devaient en plus de tous ces malheurs subir l’humeur vagabonde du très haut et puissant messire chevalier, seigneur et baron de Lespinasse, qui, pour se distraire, leur jouait des tours pendables dès qu’il le pouvait.
Cela alimentait bien entendu les conversations moqueuses des gens de la ville, lesquels n’étaient pas en reste pour railler les moines.
Oh, à Lespinasse, personne n’aurait pensé le moindre mal du Baron qui n’avait sans doute pas mauvais cœur, mais son goût prononcé pour le Garambaud, le rendait souvent de très mauvais poil !
Aussi, dans ses moments d’égarement, il proférait des menaces contre les moines de Noailly, ses souffre-douleurs préférés.
Quant aux gens de Lespinasse, à l’image de leur seigneur, ils passaient le plus clair de leur temps à jour aux cartes et à tenir de vilains propos…On assurait que les femmes, aux mœurs étranges, laissaient très volontiers à la maison, chouettes et chats noirs, pour s’en aller les soirs de pleine lune, retrouver dans les clairières de la grande forêt de Lespinasse, sorciers et jeteurs de sorts, fées et lutins des bois…Bref, cette ville n’avait pas une très bonne réputation dans la contrée ; les manants des alentours disaient préférer mourir plutôt qu’aller habiter dans cette cité, dont le Baron avait fait, selon eux, un pacte avec le diable : d’ailleurs ils racontaient sur son compte, en se signant, de lugubres histoires…
Le diable en question, c’était OEsébius, sorcier-magicien et médecin personnel du Baron ; ce maître en magie noire avait été sauvé du bûcher par celui qu’il servait désormais, en répondant à ses moindres exigences, même les plus farfelues, lorsque le Baron était complètement ivre.
De temps en temps, il l’interrogeait sur son avenir, sa ligne de vie… mais sa distraction favorite, lors de ses grands moments de délire, était la magie.
En effet, son grand plaisir était de voir transformer quelques-uns de ses serviteurs, en rats, chèvres ou corbeaux… !
Pas question pour OEsébius de refuser, il s’exécutait toujours prestement et s’évertuait à faire de son mieux, de façon à ne pas décevoir son seigneur et maître.
Seulement, quelquefois, il lui arrivait de se tromper dans l’énoncé des formules magiques, et le malheureux serviteur choisi pour l’expérience, n’était qu’à moitié transformé, mi-homme, mi-animal ! OEsébius en était alors quitte pour quelques insultes et menaces, heureusement sans grandes conséquences pour lui, puisque le Baron sombrait généralement peu après dans un profond sommeil.
Aussi un soir, le Baron le fit appeler auprès de lui, et comme à son habitude, OEsébius se présenta, son vieux grimoire en main, l’air un peu inquiet, à l’idée de savoir ce qu’il lui demanderait cette fois-ci.
Approche OEsébius, cria le Baron, ah ! mon fidèle magicien, que ferais-je sans toi ?
Allez, approche, je veux te parler d’un bon tour que nous pourrions jouer ensemble…
Vous savez bien, répondit OEsébius, que j’exauce tous vos désirs maître, commandez et je vous obéirai avec le plus grand plaisir !
Un grand silence envahit un instant l’immense salle où le Baron prenait son souper, puis une longue conversation à voix basse s’engagea entre les deux hommes.
Les serviteurs, sachant qu’avec le magicien, l’un d’entre eux finirait mal la soirée, étaient très inquiets du sort qui se déciderait dans les balbutiements du Baron, qui, de plus, semblait être très content de lui.
Finalement, rien de désagréable ne se passa, et OEsébius regagna prestement ses quartiers.
Quant au Baron, rassasié de cailles rôties, poulardes et autres mets de choix, le tout copieusement arrosé de Garambaud, il se coucha, au grand étonnement de ses gens de maison, qui n’étaient pas du tout habitués à des soirées aussi calmes.
Bref, tout le monde fut satisfait et la nuit fut une des plus silencieuses que le château ait connu depuis des lustres, simplement emplie du ronflement seigneurial.
Mais le lendemain matin, le Baron ne voulut point se lever et d’une voix plaintive, il dit à ses serviteurs qu’il avait passé une nuit tourmentée, pleine de cauchemars, et qu’il ne prendrait pas ses repas habituels.
– Je suis malade, terriblement malade, dit le Baron, mes entrailles me font souffrir, allez donc me chercher OEsébius, lui, saura très certainement de quel mal je suis atteint, il aura très probablement une petite potion pour me remettre très vite sur pied.
Ni une ni deux, on alla chercher OEsébius qui traficotait dans son officine quelques philtres à l’usage douteux…
– Ah, mon bon OEsébius, donne-moi vite quelque chose, car je sens mes forces décliner de plus en plus, la vie me file entre les doigts, mon heure a peut-être sonné…
– Allons, allons, noble Baron, votre constitution fera de vous un centenaire : laissez-moi vous ausculter !
OEsébius, en bon médecin, colla son oreille sur la poitrine du Baron, lui fit tirer la langue, lui palpa le ventre et dit :
– C’est votre foie qui vous joue un bien vilain tour, la bonne chair dont vous faites votre ordinaire, est néfaste à votre bonne santé !
– Oui, et bien contente-toi de remédier à cette petite faiblesse, je n’ai que faire de tes remarques insolentes et déplacées, tu es mon médecin, oui ou non ? Alors aurais-je vraiment besoin de tes services si j’étais toujours en bonne santé ?
Evidemment le Baron avait toujours le dernier mot : OEsébius réfléchit un moment, puis dit au Baron :
– J’ai ce qu’il vous faut !
– A la bonne heure ! répondit le Baron.
Quelques minutes plus tard, il revint avec une petite fiole qui contenait un liquide verdâtre à l’odeur plus que nauséabonde.
– Tenez, buvez ceci et tout ira mieux, dit OEsébius en lui tendant le flacon.
– Tu ne crois tout de même pas que je vais avaler cette mixture aussi puante qu’une vieille charogne ? On jurerait que tu as l’intention de m’empoisonner ! rétorqua le Baron.
– Mais noble seigneur, si…
– Taratata ! Je ne te fais pas confiance, tu as si peur que je t’envoie rôtir dans les flammes d’un bûcher, que tu serais prêt à me faire passer de vie à trépas bien avant mon heure !
Si tu veux que je boive, fais le d’abord goûter à un de mes serviteurs : au hasard, Germain, viens ici mon ami et bois un peu de cette potion, nous verrons bien la suite !
Le malheureux serviteur qui ne s’attendait pas vraiment à cela eut un réflexe de recul mais deux autres le saisirent et lui firent ingurgiter de force l’affreux breuvage.
– Allez, ouste ! Tout le monde dehors, je veux rester avec Germain et OEsébius.
Dès qu’il n’y eut plus personne, le Baron sauta hors de son lit et s’approcha du serviteur qui semblait être figé, pareil à une statue.
– Crois-tu que ton philtre sera efficace pour obtenir ce que je désire ? dit-il à OEsébius.
– Vous savez, maître, la magie est une science très aléatoire, les chances de réussite sont aussi importantes que les chances d’échec, et…
– Alors écoute bien, grand pendard, je te conseille vivement de ne pas me décevoir cette fois-ci, il n’y aura pas d’excuse, ce sera le proscription hors de mes terres et tu sais qu’ailleurs ta tête est mise à prix ; tu n’échapperas pas deux fois au bûcher !
OEsébius était donc prévenu.
Maintenant, passons à la deuxième phase de mon plan ; aide-moi à lui mettre mes vêtements de nuit et le porter dans mon lit ; ensuite, fais ce que nous avions convenu ensemble hier soir et nous nous amuserons bien… !
Une fois le serviteur placé dans le grand lit seigneurial, le Baron se précipita vers une petite commode d’où il sortit une montage de victuailles, accompagnée, cela va de soi, de quelques chopines de vin.
– Ha ! ha ! Tout ceci m’a donné grande faim, dit le Baron d’un ton goguenard, je me sens en pleine forme ! Allez,vaque à tes occupations, pense bien à ce que je t’ai dit, et surtout ne laisse personne entrer ici.
OEsébius un peu décontenancé par les propos du Baron s’exécuta sans attendre, sortit de la chambre et fit rassembler tous les gens du château dans la salle d’armes. Il leur annonça que le Baron avait une maladie beaucoup plus grave qu’il ne le pensait, qu’il était au plus mal, et selon sa volonté, il demandait auprès de lui le prieur de Noailly pour qu’il lui apporte les derniers sacrements.
Cette dernière annonce eut pour effet de faire souffler un vent de consternations sur l’assemblée. Pensez donc, leur seigneur qui s’était comporté en véritable païen durant toute sa vie, souhaitait maintenant mourir en bon chrétien, avec à ses côtés le prieur des moines de Noailly, auquel il avait cherché des noises des années durant.
La terrible nouvelle fut annoncée officiellement aux habitants de Lespinasse, consternés par cette fin trop pieuse qui n’était absolument pas digne d’un Baron de Lespinasse si enclin à la paillardise.
Un grand doute s’installa dans la ville. Le Baron était-il réellement devenu fou au point de s’en remettre aux moines au moment de son expiation ?
A coup sûr, tous ses ancêtres qui furent Barons de Lespinasse allaient se retourner au moins dix fois dans leurs tombeaux ! En fin de journée, deux gardes du château traversèrent à toute allure la ville et prirent le chemin de Noailly pour y chercher le père Maxime, prieur du monastère.
Arrivés sur place, ils transmirent la nouvelle à l’intéressé qui n’en crut pas ses oreilles, comme d’ailleurs tous les autres moines.
Evidemment, il n’hésita pas, il s’agissait de retirer une âme des griffes du diable.
Et comme la mission allait être rude, il se fit accompagner du sacristain et du bedeau, qui eux, n’étaient absolument pas enthousiasmés à l’idée de se rendre, la nuit tombée, au château du Baron de Lespinasse, qui, même mourant, leur donnait des sueurs froides…
Peu importe les craintes de chacun, il fallait y aller, et le prieur en tête, le petit groupe se mit en marche sur le chemin de Lespinasse, au milieu de la sinistre forêt dans laquelle hululaient une multitude d’oiseaux de nuits.
Les ombres glissaient, les mugissements et les clameurs aiguës du vent rendirent cette traversée encore plus inquiétante.
Après une bonne heure de marche et quelques chapelets, ils arrivèrent en vue de Lespinasse, dont les hautes murailles se dessinaient sous un grand clair de lune.
Bientôt ils furent face du pont-levis, qui s’abaisse lentement, puis la grande porte hérissée de clous s’ouvrit dans un grincement lugubre, qui glaça encore plus le sang du bedeau et du sacristain.
C’était la première fois qu’ils pénétraient dans cette ville de sinistre renommée.
La rue principale dans laquelle ils se trouvaient, était bordée de tavernes et d’échoppes et menait tout droit au château seigneurial formé d’un imposant donjon carré, entouré de bâtiments à crénelures sur lesquels se devinaient les soldats de garde.
Puis ils se présentèrent devant la porte du château surmontée des armoiries d’or au lion couronné d’azur.
– Oh là, du château ! s’écria un des gardes accompagnateurs, ouvrez les portes et annoncez l’arrivée du père Maxime au Baron.
OEsébius, qui était à l’affût dans une échauguette, accourut prestement avertir le premier le Baron.
– Seigneur et maître, le prieur est dans vos murs, vite, cachez-vous derrière un rideau, je cours au-devant du messager.
Le Baron eut un petit rire sournois, puis il s’assura que Germain était toujours en place, inerte et inconscient dans son lit.*Tout était enfin prêt pour la « cérémonie »…
OEsébius sotrit aussitôt de la chambre pour déambuler dans le grand donjon, faisant la mine triste et abattue.
Comme prévu, il intercepta le messager qui venait avertir le Baron :
– Je m’en vais sur le champ informer notre seigneur de l’arrivée du Père Maxime, dit OEsébius.
Jusque-là tout se passait comme l’avait prévu le Baron.
Peu après, les portes de la chambre seigneuriale s’ouvrirent, quelques serviteurs du château vinrent s’agenouiller au pied du lit et commencèrent à réciter des prières.
C’est alors que le père Maxime fit son entrée, un bréviaire à la main, suivi du bedeau et du sacristain, tous les deux éblouis par la splendeur des lambris, tapisseries et autres décorations fastueuses ornant la pièce.
Le prieur s’approcha du grand lit et dit :
– Comment se fait-il que le Barons se cache sous ses draps, je ne vois que son bonnet de nuit ?
– C’est que…voyez-vous, il ne supporte même plus la lumière des chandelles, il est plus mal, vous savez ! répondit OEsébius, improvisant merveilleusement face à la situation, car il ne fallait pas décevoir le Baron qui surveillait derrière son rideau le bon déroulement de son entourloupette, tout en évitant d’éveiller des soupçons chez le prieur.
– Dites-lui tout de même qu’il fasse un effort pour que je puisse lui donne correctement les saints sacrements, dit le prieur, un peu irrité par la situation et l’heure tardive.
– Je vais essayer de le lui dire, mais je ne vous garantis rien, répondit OEsébius.
Alors il s’approcha du grand lit, se pencha sur l’oreiller et marmotta quelque chose qui eut tôt fait de mettre en mouvement le soi-disant Baron… sans toutefois que celui-ci ne sorte de dessous ses draps.
– Bon, je constate que le Baron ne réagit pas favorablement à ma requête, mais je vais tout de même commencer l’office.
Alors que les requiem se succédaient et que toute l’assemblée était plongée dans un profond recueillement, le lit du Baron fut soudain en proie à une grande agitation.
Toujours impassible, le père Maxime poursuivait son homélie et rien ne semblait pourvoir l’arrêter, même pas le diable !
OEsébius aussi était en train de prier, mais probablement pas pour la même cause que les autres, non, il priait pour que son tour de magie réussisse.
Enfin, le prieur saisit une hostie et s’avança vers le lit qui était agité par de violents soubresauts.
Au moment où il allait soulever les draps, un vieux bouc malodorant se dressa devant lui en se contorsionnant.
OEsébius avait donc réussi à changer le malheureux Germain en cette bête qui bêlait à tout rompre.
L’assistance, dans un premier temps surprise par la présence d’un bouc dans le lit du Baron, laissa éclater sa joie par la suite, lorsque tous comprirent qu’on avait joué un bien vilain tour au prieur de Noailly, qui lui ne riait pas du tout.
Le père Maxime resta droit, sans dire un mot ; sa figure pâlote devint tout à fait blanche ; il garda son hostie à la main, entouré du bedeau et du sacristain qui ne comprenaient toujours pas dans quel piège ils étaient tombés.
C’est alors que le Baron sortit de sa cachette en lâchant de grands rires sonores qui couvraient tous les autres, puis, la démarche arrogante, dit :
– Allons, moine ! poursuis ton office, donne donc cette hostie à ce bouc, il en a probablement plus besoin que moi ! A ces propos tous les rires redoublèrent.
– Et puis dépêche-toi, j’ai grande faim et suis pressé de faire ripaille, j’espère que tu te joindras, toi et tes deux moinillons, à ma table, je vous dois bien cela, j’ai tellement ri !
– Oh que non ! répondit le père Maxime, je n’ai pas quitté mon monastère en pleine nuit pour venir écouter vos sottises et prendre part à vos soirées de débauches qui sont la honte de notre contrée…
Cette réplique cinglante ne fut évidemment pas du goût du Baron qui perdit son sourire.
– Sache, espèce de moine d’opérette, qu’à ce jour, personne de vivant, à ma connaissance, ne m’a parlé avec autant d’impudence ! Ton audace envers moi ne me plaît guère ; ensuite lorsque je donne un ordre, j’entends être obéi sans retard ; alors, pour la dernière fois, je te somme de donner cette hostie à ce bouc ou je fracasse avec mon épée ton maudit crâne sans cervelle !
Alors que le Baron était prêt à sortir de son fourreau sa grande épée, le père Maxime ouvrit grand la bouche et avala d’un trait l’hostie.
– Tu vas me le payer cher, dit le Baron qui était entré dans une colère noire.
Mais au moment où le baron allait asséner le coup mortel au prieur, un bruit sourd et terrifiant se fit entendre. Les murs se mirent à vibrer, les tentures et les vases précieux tombèrent, les serviteurs, pris de panique, sortirent de la chambre en courant, suivis du bouc dont les cornes emportèrent les courtines du lit seigneurial…
Le donjon était si violemment secoué, que le prieur, le bedeau, le sacristain, mais aussi le Baron et OEsébius, furent jetés au sol sans même pouvoir se relever.
Soudain, un grand gouffre de lumière apparut au beau milieu de la pièce. Il semblait s’agrandir tout en se dirigeant vers le Baron et le magicien, qu’il absorba dans un effroyable vacarme, avant de se refermer sous les yeux ébahis du prieur et de ses deux jeunes accompagnateurs, atterrés par ce qu’ils venaient de voir.
Puis le calme revint, lourd et pesant ; il n’y avait plus un bruit, même pas de cris, de hurlements… le grand donjon semblait avoir été vidé de tous ses occupants par un inexplicable mystère.
Leur premier réflexe fut de sortir très vite de cet endroit maléfique, ils descendirent quatre par quatre les escaliers, mais ne rencontrèrent personne.
Où étaient donc passés tous les serviteurs et les gardes du château ?
Ils arrivèrent bientôt devant la porte qui donnait accès aux autres dépendances.
La porte était entrouverte, c’est alors qu’ils découvrirent avec stupeur que les autres bâtiments du château n’étaient plus là, et plus encore, toute la ville avait disparu !
De la grande ville de Lespinasse, il ne restait plus que le donjon seigneurial dans lequel ils se trouvaient.
Pourtant, ils percevaient du sol, des cris et des voix qui appelaient au secours, mais tout cela était de moins en moins perceptible : puis ce fut un silence total au milieu de la nuit.
Alors, épouvantés par ces bruits qui provenaient des entrailles de la terre, le prieur, le sacristain ainsi que le bedeau, s’enfuirent du plus vite qu’ils le pouvaient de cet endroit maudit et n’y revinrent jamais.
Quant au donjon, aujourd’hui il est toujours là, gisant au milieu des prairies sur lesquelles était jadis bâtie la ville de Lespinasse ; abandonné depuis cette terrible nuit, il ne sert d’abri qu’aux quelques chouettes et corbeaux qui y ont trouvé refuge.
Mais l’on dit encore que les nuits d’orage, lorsque l’on passe sur la petite route près du donjon, il n’est pas rare d’entendre sonner les cloches de l’église Saint-Michel de Lespinasse, qui répondent aux éclairs frappant le sol, alors que le tonnerre couvre les voix du Baron et d’OEsébius criant à tout rompre, pour qu’enfin une âme charitable, vienne les délivrer de leur prison souterraine, dans laquelle ils furent enfermés pour l’éternité…